Widdershins (le monde merveilleux du Marquis de Sade)
(L’œuvre a été écrite en décembre 2009 sur commande du grand quatuor de saxophones montréalais Quasar. Ladite commande a été rendue possible grâce à une bourse de la Fondation pour les Arts de l’Alberta. L’œuvre est dédiée audit quatuor, en gage de reconnaissance et en hommage à l’incroyable maîtrise artistique et technique dont il a fait preuve.
La signification littérale de l’adverbe widdershins signifie « dans le sens inverse de la trajectoire du Soleil ». Traditionnellement, un tel mouvement fut interprété comme malchanceux, renforçant la puissance de l’Obscurité, et le mot fut souvent utilisé pour jeter des sorts funestes. Paradoxalement, on l’emploie aussi pour invoquer un « mouvement contraire » — contraire à la « marche courante des affaires » — afin de contrecarrer le Mal dominant, la magie noire, ou simplement pour tenter de mettre un terme à une période d’infortune et de faire revenir à soi la Chance.
Voilà la prémisse de l’œuvre : l’opposition entre la sphère linguistique et le système de connotations du mot widdershins. Tout cela s’éclaire, du moins est-on en droit de l’espérer, grâce au sous-titre qui réfère à la vie atypique et tragique du marquis Donatien Alphonse François de Sade (1740-1814), homme déchiré entre l’ombre et la lumière, l’abattement et l’espoir, l’extrême méchanceté et la douce bienveillance — comme tant d’entre nous, et comme la réalité même, toujours.
Je crois profondément que deux forces intérieures nous animent, comme elles animent le cosmos dont nous ne sommes qu’un reflet : l’une constructive, l’autre destructrice. Apprendre à concilier en soi ces deux forces est un défi perpétuel. Cette tension est omniprésente dans la pièce, laquelle, du moins au début, semble — et c’est délibéré — n’être jamais ni entièrement libre d’affirmer son émancipation vitale, ni tout à fait soumise à l’absolue oppression. Exacerbée par la trame virtuelle, la musique elle-même donne sans doute l’impression d’une mixture psychotique d’agressions impitoyables et cruelles, de douleur, de protestations, de désespoir – de même que d’un plaisir irrépressible et bizarre. Mais ce plaisir n’est-il que bizarre ? N’y a-t-il donc aucune lumière ?
— Piotr Grella-Mozejko, janvier 2010