SOLI

(
2024
)
Compositeur: Frédéric Le Bel
Minutage:
10:00

**Commande de Quasar

Ma proposition s’inscrit dans le cadre d’une démarche artistique qui se concentre sur les problématiques du mélange dans le contexte des musiques mixtes, celles qui allient les sources acoustiques et les sources électroniques. Évidemment, l’enjeu de la mixité peut être abordé de différentes façon et peut prendre différentes formes, autant au niveau de la conception que de la réalisation, en passant de l’écriture au sonore, et vice versa. Par exemple, une multitude d’approches ont déjà été proposées en réponse à différents aspects du problème, telles que la composition assistée par ordinateur, le traitement audio, la synthèse sonore, l’organologie numérique ou l’audio réactif, pour en nommer quelques-unes. Cependant, le thème que je cherche à approfondir dans le cadre de ce projet est plus particulièrement celui de l’espace, de la spatialisation et des systèmes de diffusion hybrides. 

Ayant travaillé sur la question des instruments augmentés, ceux qui sont modifiés par l’ajout d’un transducteur permettant de les utiliser comme des haut-parleurs, cette technique me semble particulièrement intéressante en ce qu’elle permet de confondre davantage les causes et les effets dû à la proximité physique, et cognitive, des sources sonores. Dans ce cas, il ne s’agit plus d’entendre les sources acoustiques par l’intermédiaire des haut-parleurs, mais bien l’inverse : il s’agit d’entendre les sources électroniques par l’intermédiaire des instruments de musique. L’approche est similaire, mais l’affect est complètement différent car, contrairement au caractère neutre du haut-parleur, celui de l’instrument de musique ne l’est pas. En plus de donner littéralement corps au son, la nature de l’objet impose déjà nombre d’attentes, mais cette méthode peut rapidement les contourner en créant des rencontres insolites, telles qu’un piano qui chante, ou un violoncelle qui parle. D’une certaine manière, il s’agit là de créer une sorte de réalité augmentée où l’analogique et le numérique se confondent. Dans cette perspective, je cherche à pousser l’idée plus loin en explorant les possibilités liées à l’utilisation d’un système hybride, combinant une configuration de haut-parleurs multidirectionnels, les audiodices, et une configuration de haut-parleurs traditionnels à travers l’écriture d’une œuvre pour quatuor de saxophones et dispositif électronique.

En ce sens, je souhaite évidemment approfondir la question de la mixité du point de vue des relations entre l’écriture instrumentale et l’écriture électronique, mais surtout du point de vue de la spatialisation des sons sur trois plans distincts : (1) les audiodices, (2) les saxophones et (3) un ensemble de haut-parleurs disposés autour du public. L’idée est essentiellement d’arriver à produire des situations complexes à partir d’éléments simples en exploitant le potentiel combinatoire de cette configuration à géométrie variable. Qu’elles soient unifiées ou fragmentées, superposées ou juxtaposées, les trois composantes sont évidemment utilisées pour créer des trajectoires, du timbre et des textures, mais toujours de manière à exploiter le potentiel du quatuor augmenté en ce qu’il représente une sorte de méta-instrument à la fois réel et virtuel.          

Outre le mélange des sons et les défis techniques qu’elle implique dans ce contexte d’hybridation, la question de la mixité s’intéresse donc aussi au problème de l’embodiement, soit, comment incarner le son. En quelque sorte, il s’agit là de chercher une forme de présence dans l’absence et, éventuellement, une forme d’absence dans la présence.  Ainsi, l’intégration des audiodices au sein du quatuor de saxophones me semble une façon assez intéressante et innovatrice d’explorer cette problématique, non seulement en se rapprochant du type de rayonnement des sources acoustiques ou en s’éloignant de celui des haut-parleurs classiques, mais surtout en les intégrant au même niveau que les musiciens. Dans cette perspective, l’inverse devient tout aussi intéressant en ce qui concerne l’utilisation des saxophones de manière similaire à un dispositif électronique.

Sur le plan musical, j’ai donc porté une attention particulière à l’évolution du matériau au fil du temps dans ses rapports avec la partie électronique, les audiodices et les haut-parleurs, non pas dans une perspective de processus mais plutôt de dialectique, à savoir comment les uns peuvent influencer les autres de manière à sublimer leurs identités propres malgré l’espace qui les sépare. S’appuyant sur une rhétorique dynamique et articulée, l’idée est d’utiliser un scénario rythmé qui exploite les contrastes entre des matériaux simples et éloquents, tous porteur d’idées à la fois fragiles et percutantes. Parfois complémentaires et d’autres contradictoires, les matériaux servent donc à articuler un discours sonore virtuose où les propositions se croisent et s’entrechoquent au profit d’une narration intrépide. Avec cette pièce, je poursuis aussi mon travail d'exploration des phénomènes liés à la perception et à la lisibilité de l'organisation formelle articulant le matériau musical, dans un langage que j'aimerais le plus direct et le plus communicatif possible, et dans lequel la liberté de l'écriture reste au service de l'imaginaire et de sa matérialisation.

Frédéric Le Bel


Le projet Le cas du quatuor augmenté a bénéficié du support en création - production offert par le programme de résidences de la Société des arts technologiques (SAT)

www.sat.qc.ca