(Rouge)
(J'ai commencé la composition de (Rouge) pendant le Printemps « Érable » du Québec. Comme plusieurs, j'ai été très touché par ce soulèvement spontané des étudiants qui a eu un effet d'entraînement très fort sur la meilleure partie de la société québécoise.
Je suis allé à plusieurs manifestations durant ce printemps-érable et j'y ai croisé souvent des musiciens de Quasar. Plus tard, j'ai appris qu'un de ses membres s'était fait arrêter et détenir par la police pendant plusieurs heures. C'est dans ce climat que je commençais à concevoir ou plutôt, à « voir : (Rouge) ».
La première idée compositionelle qui a germé en moi fut celle d'une gamme qui, au lieu de revenir à son point de départ à chaque octave, s'étendrait sur toute l'étendue des notes offerte par un quatuor de saxophone. Une gamme, comme un projet social, que l'on ne peut réaliser seul et qui demande que l'on se mette à plusieurs pour pouvoir s'accomplir.
Toute ma pièce a été construite à partir de cette même gamme. Il s'agit d'une hypergamme pentatonique composée elle-même de 5 gammes pentatoniques superposées, déployées sur 5 octaves. La gamme pentatonique est une des formes musicales les plus universelles et les plus simples en musique, du blues américain à la musique chinoise. La planète entière vibre en mode pentatonique.
(Rouge) est composée de 5 sections écrites encadrées par des sections improvisées.
Je suis souvent surpris de constater à quel point le chiffre 5 a pris de l'importance dans mon travail au cours des années.
Carré (rouge) est un chant d'espoir et il est dédié au mouvement étudiant. C’est une mélodie à l'unisson qui se déploie à partir d'une note centrale pour s'amplifier progressivement vers l'aigu et vers le grave comme un grand mouvement social prenant une ampleur insoupçonnée.
Peau (rouge) est une danse de guerre que je dédie à la cause des Amérindiens et, par extension, à tous ceux qui livrent un combat social pour le Québec. Il me semble évident que la cause des Québécois ne se réglera pas avant celle des Amérindiens.
Géante (rouge) évoque ces étoiles éloignées qui ont sur nous un effet apaisant quand nous les regardons dans le ciel, mais n’en demeurent pas moins des cataclysmes atomiques épouvantables.
La sonorité de cette section m'a fait penser à celle de l’orgue à bouche cambodgien, si bien que le premier titre de la pièce a été : Khmer (rouge). J'ai pensé à ces piles de crânes humains que les documentaires sur le Cambodge nous montraient. Géante (rouge) pourrait très bien être une musique sereine et distanciée, presque froide, accompagnant avec pudeur ces images de violence et d'horreur.
Tapis (rouge) comme dans : « dérouler le tapis rouge » évoque la musique des Pygmées. Chaque interprète y tisse des fragments de la gamme totale afin de créer une polyphonie très complexe.
Carré de Peau (rouge) est la juxtaposition du chant d'espoir et de la danse de guerre. Pour rester dans la thématique amérindienne, les interprètes de Quasar ont conclu qu'avec Carré de Peau (rouge) j’évoquais l'idée d'un « scalp » . Cette interprétation ne me déplaît pas du tout; presque chaque matin, j'invoque le retour de la guillotine en lisant le journal.
Je me souviens d'une caricature de Garnotte, parue dans le Devoir au début de l'été, où l'ancien premier ministre, Jean Charest, était montré en costume de bain sur une plage à l'abri d'un parasol disant : « Enfin les vacances! ». On y voyait un étudiant qui venait de découper un petit carré dans le parasol afin que monsieur Charest attrape un coup de soleil lui tatouant le fameux carré rouge sur la poitrine. Je reconnais bien là mon Carré de peau (rouge).
Jean Derome, septembre 2012.
Commande de Quasar avec le soutien financier du Conseil des arts du Canada.